LA TRISTE FIN DE FACEL VEGA

Publié le par cultumusic

En 1964, alors que les Anglais sauvaient Jaguar et Aston Martin, que les Américains venaient au secours de Chrysler, le gouvernement français et le grand Général n'ont pas levé le petit doigt pour en faire autant avec leur voiture de prestige, la Facel Vega, qui cédait ainsi la place de voiture suprême à la Citroën DS : un peu court, malgré tout le bien que je pense de cette fantastique création d'avant garde.  Mais de là à la considérer comme la Rolls anglaise...

Mais revenons au début de l'aventure.  En 1954, un ingénieur qui avait créé les Forges et Ateliers de Construction d'Eure et Loire (d'où Facel) décide de se lancer dans la réalisation d'une supervoiture française.  Cet ingénieur : Jean Daninos, le frère de Pierre Daninos, le père de l'inénarrable Major Thompson, cet Anglais qui découvre les mœurs des Français de délectable manière.  Son idée (à Jean Daninos) est de remplacer les hauts de gamme qu'étaient Delage et Delahaye, deux marques mythiques qui se sont cassé la figure la main dans la main en 1953.

Pour ce faire, et afin de limiter les coûts de production (nous sommes neuf ans seulement après la seconde guerre mondiale), il achète ses moteurs chez Chrysler, ensuite chez De Soto, et s'occupe des trains roulants et de la carrosserie.  Celle-ci, malgré une certaine ressemblance (lointaine) avec les modèles d'Outre-Atlantique, est bien plus racée que ses cousines américaines : magnifique palace roulant, d'une classe folle, elle entend rivaliser avec les meilleures productions anglaises, les Jaguar et même les Rolls Royce et les Bentley, dont elle affiche des tarifs similaires. 

La première Facel, appelée Facel Vega, sort fin 1954 et éblouit la foule qui se presse au Salon de l'Automobile.  Et il y a de quoi: plus de cinq mètres de long, un intérieur digne des mille et une nuits, avec un tableau de bord unique en son genre,  en imitation de bois en trompe l'œil du plus bel effet.  Le succès est immédiat : les belles se pavanent dans les rues de Monaco et sur la Croisette, tandis que, de l'autre côté, les stars hollywoodiennes se pressent pour acquérir la merveille française.  Elles partent par dizaines aux Etats-Unis, ce qui est une prouesse dans un pays qui disposent de Cadillac,  de Lincoln et autres Imperial le Baron, et qui, s'ils trouvent celles-ci trop roturières, se tournent inévitablement vers Rolls Royce et Bentley.

Mais Jean Daninos est un pragmatique doublé d'un humaniste.  Trois ans après la sortie de la HK 500 et de l'Excellence (de 1958 à 1964),  il décide que les voitures arborant son logo devraient aussi pouvoir concerner les classes moyennes, enfin disons plutôt les classes aisées.  Il a alors l'idée de se construire une voiture de sport 100 % française : la Facellia.  Cette fois-ci, il demande à ses ingénieurs de plancher sur un moteur maison.  Un six cylindres est proposé, mais sa fiabilité n'étant pas au rendez-vous, il est amputé de deux cylindres et offre une cylindrée de 1647 cm³ développant une puissance raisonnable pour l'époque de 115 chevaux SAE (environ 95 chevaux DIN, ceux que nous employons actuellement).  La voiture, évidemment plus petite que les énormes sommets de la gamme, garde un air de famille évident avec sa calandre magnifique en trois parties.  Elle est aussi bien plus légère, ce qui lui confère des prestations très acceptables.

Mais les ennuis se succèdent.  La Facellia a un comportement routier délicat et sa mécanique peu fiable a le don de décourager les futurs acheteurs.  Après avoir tenté de redresser la barque avec les Facel II et III, Daninos risque son va-tout : il propose une version (appelée Facel 6) équipée du moteur six cylindres de l'Austin Healey 3000.  Mais il est bien tard : avant que cette version de la dernière chance aie pu faire ses preuves, Daninos, empêtré dans les ennuis financiers, demande l'aide du gouvernement.  Celui-ci, qui avait déjà sorti de l'ornière Peugeot et Citroën, refuse d'accorder le moindre centime au plus prestigieux et dernier véritable carrosse français.  Ce qui est d'autant plus inexplicable que, dans le même temps, le dit gouvernement s'employait à hisser l'aéronautique au plus haut sommet, tant  civil (souvenez-vous de la Caravelle) que militaire (Dassault et ses Mirage).  Et que dire des chantiers navals de Saint-Nazaire avec le France!

Jean Daninos survivra longtemps à ses modèles : aigri, il mourra en 2001 à Cannes, rêvant certainement à la ligne qu'auraient pu avoir ses modèles au vingt-et-unième siècle :  une calandre maison sur un châssis Bentley, par exemple; voilà qui aurait de la gueule.  Et la Facellia de sport : la même calandre sur une Mercedes SLK...  Rêvons, rêvons, il en restera toujours quelque chose, ne fût-ce que des paillettes dans les yeux.

Publié dans VOITURE ANCIENNE

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